Réforme de l’EU-ETS : un défi pour les industries européennes
Un marché du carbone fondé sur le principe de pollueur-payeur
Dans le cadre de son ambition de décarbonation, l’UE a adopté dès 2005 un Système d’Échange de Quotas d’Émissions (SEQE-EU) ou Emissions Trading System en anglais (EU ETS). Le principe est simple : faire payer les principaux émetteurs de gaz à effet de serre pour les inciter à réduire leurs émissions.
Ce dispositif s’applique aux industries les plus émettrices, en particulier la production d’électricité, l’industrie à forte intensité énergétique (raffinage de pétrole, production d’acier, de papier, de verre ou encore de ciment), l’aviation commerciale pour les liaisons en Europe et, depuis 2024 le transport maritime (liaisons au sein de l’UE et départ et/ou arrivée dans un port européen). Tous les états de l’UE sont concernés ainsi que l’Islande, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suisse.
70€/tonne
Le prix spot du CO2 en juin 2024
Source : Commission Européenne
Concrètement, les industries soumises à l’EU ETS doivent acquérir des quotas d’émissions aux enchères correspondants à leurs émissions réelles sous peine d’amende. Des quotas sont également attribués gratuitement à certains secteurs. Les acteurs concernés ont aussi la possibilité de s’échanger des quotas entre eux, via une bourse. C’est ce que l’on appelle le marché européen du CO2.
Le principe de fonctionnement de l’EU ETS
Source : Cour des Comptes européenne
L’EU ETS couvre environ 40% des émissions de l’UE et près de 10 000 installations y sont soumises. En France, 1 059 installations sont concernées par le dispositif pour des émissions d’environ 80 MtCO2 (données 2022).
En mai 2023, une réforme du mécanisme a été adoptée par l’Europe. Son objectif : durcir les modalités du système en lien avec l’ambition de l’UE de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici à 2030 (par rapport à 1990). L’un des enjeux de la réforme est d’élargir les secteurs soumis au dispositif. Elle prévoit ainsi que les secteurs du bâtiment et des transports routiers (et d’autres non couverts par le mécanisme actuel) intègrent un dispositif distinct, communément appelé EU ETS 2, à partir de 2025 avec une phase d’adaptation d’environ deux ans. Passé ce délai, l’EU ETS 2 devrait être pleinement opérationnel et autoriser l’échange de quotas.
Pour les acteurs déjà soumis à l’EU ETS, c’est-à-dire les industriels, la réforme contient des évolutions lourdes de conséquences. Trois mesures auront ainsi un impact majeur à moyen terme :
- La réduction du nombre de quotas mis en circulation chaque année.
- La fin des quotas d’émissions gratuits.
- Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF).
La forte réduction du nombre de quotas émis chaque année
Des droits à polluer sont régulièrement mis aux enchères par les États européens. Le nombre de quotas mis sur le marché chaque année diminue en cohérence avec les objectifs européens de décarbonation. Depuis 2021, le rythme de réduction annuel était de 2,2%. Dans le cadre de la réforme du système, ce rythme de baisse annuelle a été porté à 4,3% de 2024 à 2027 et à 4,4% de 2028 à 2030, soit un doublement par rapport au taux initialement prévu.
Evolution de la réduction du nombre de quotas
Source : Commission européenne
La réforme du mécanisme de l’EU ETS vise un fléchage des recettes d’enchères à 100% vers des dépenses pour le climat (rénovation énergétique par exemple).
2,1 milliards d’euros
Les recettes générées par la vente de quotas en France en 2023
Source : Ministère de la transition écologique
La fin des quotas gratuits
Une part significative des quotas est attribuée gratuitement aux industries exposées à un risque de fuite carbone, soit selon le parlement européen, le déplacement des industries émettrices de gaz à effet de serre en dehors de l’UE pour éviter des normes plus strictes. La tentation peut, en effet, être grande pour un industriel de délocaliser sa production pour préserver sa compétitivité.
En 2023, l’allocation gratuite a concerné près de la moitié des quotas émis en Europe. Seule la production d’électricité ne bénéficie d’aucun quota gratuit. Plus d’une soixantaine de secteurs et sous-secteurs peuvent en bénéficier. L’UE veut mettre un terme à ces allocations gratuites de quotas qui représentent la grande majorité des émissions, voire même plus selon les années et les secteurs industriels.
Allocations gratuites de quotas d’émissions et émissions réelles des principaux secteurs concernés en 2023
(en millions de tonnes d’équivalent CO2)
Source : Agence européenne de l’environnement
La fin des quotas gratuits aura lieu de manière progressive à partir de 2026 afin de laisser aux industriels le temps de s’adapter. Le processus durera jusqu’en 2034. Cette évolution se traduira par une augmentation des coûts de production plus ou moins forte selon les secteurs (et selon le prix du CO2 à cet horizon).
Le MACF pour une compétition équitable
Parallèlement à la fin des allocations de quotas gratuits, le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) va progressivement être mis en place. Ce mécanisme vise à préserver la compétitivité de l’industrie européenne en appliquant le prix du CO2 aux produits importés des pays hors de l’UE en fonction de leur contenu carbone. S’il existe déjà un prix du CO2 dans le pays exportateur, seule la différence entre celui-ci et le prix du CO2 en Europe devra être compensée.
Dans un premier temps, pour limiter la complexité du mécanisme, le MACF ne s’appliquera qu’à une liste réduite de produits : acier, ciment, aluminium, engrais azotés et hydrogène. La production de ces marchandises représente environ la moitié des émissions industrielles de l’UE. La production d’électricité est également concernée.
La mise en œuvre est progressive avec une première période de transition qui a débuté le 1er octobre 2023 et s’achèvera le 31 décembre 2025. Pendant cette phase, les entreprises importatrices des produits ciblés doivent déclarer le volume de leurs importations et les émissions de gaz à effet de serre liées à leur production. Cette période de transition doit permettre aux parties prenantes (importateurs, producteurs et autorités) de se familiariser avec le dispositif et d’en affiner les modalités.
A partir de 2026, débutera la période de fonctionnement effectif. Les importateurs des marchandises ciblées devront alors acheter des certificats MACF au prix moyen déterminé sur le marché des quotas. Dans un premier temps, seule une fraction des émissions des produits importés devra être couverte par l’achat de certificats MACF. Cette proportion augmentera jusqu’à atteindre 100% en 2034. Le rythme de progression correspondant au rythme de disparition des quotas gratuits. Les deux mesures sont étroitement liées de manière à ce que les industriels localisés en Europe qui ne bénéficient plus de quotas gratuits puissent préserver leur compétitivité face aux importations de produits concurrents.
Baisse programmée des quotas d’émissions gratuits pour les secteurs couverts par le MACF
Source : Ministère de la transition écologique
La réduction du nombre de quotas d’émissions alloués gratuitement, et donc inversement la proportion des importations nécessitant l’acquisition de certificats MACF, va s’accélérer tout au long de la seconde phase du dispositif.
Pour ne pas subir le poids croissant de la contrainte carbone, les industriels n’ont qu’une option : décarboner leur process.